Dès qu’il y eut des hommes le long de la côte, il y eut des pêcheurs.
L’Histoire de la marine boulonnaise est vieille de plus de 2000 ans. Elle a fait la fortune et la renommée, forgé le caractère, les coutumes et les traditions du Boulonnais, organisée autour de ce triptyque inchangé depuis l’antiquité : la mer, le bateau, l’homme !
Antiquité
En Gaule, « nos ancêtres les Morins » dont le nom signifie littéralement « hommes de la mer » ( vous allez voir qu’ils auraient été mieux nommés « hommes des Côtes » car s’ils utilisaient déjà des embarcations rudimentaires, sortes de troncs d’arbres creusés et stabilisés, ils ne s’aventuraient pas bien loin en mer préférant la cueillette des coquillages et des petits crustacés et pratiquant une pêche terrienne. Ils étaient autant paysans que marins.
On sait, en revanche, qu’ils utilisaient déjà des hameçons en bronze, parfois lestés de plomb (on en a retrouvé à Hardelot)
Les romains qui vont arriver par la suite, construiront au premier siècle de notre ère le premier phare de France, la tour Caligula. ( à peu près à l’emplacement du Calvaire des Marins actuel )
Elle n’avait pas pour vocation de guider la navigation des bateaux de pêche mais celle des navires (de la Clasis Britanica) qui acheminaient les Hommes, les matériaux et les armes pour la romanisation de l’Ile de Bretagne, l’actuelle Angleterre.
Ce phare dont on dit qu’il était semblable à celui d’Alexandrie a sans doute aidé les Morins à s’éloigner quelque peu des côtes.
Sûrs désormais de retrouver le port en suivant le fanal de la Tour d’Odre. Ils n’attendent plus que le poisson vienne se faire capturer près des côtes, mais partent peu à peu à la poursuite des bancs sans jamais perdre de vue le phare.
S’ils craignent un peu moins dorénavant la méchanceté de la mer, ils vont avoir à craindre dans les temps qui vont suivre celle des pirates, pilleurs d’épaves et massacreurs de naufragés.
Ils craignaient parait-il également que le ciel leur tombe sur la tête … mais ça c’est une autre histoire !
Naissance officielle d’une pêche boulonnaise
On sait que depuis le VIIème siècle, la pêche est pratiquée de manière organisée à Boulogne.
Mais on date la naissance officielle d’une pêche boulonnaise à 932, le comte de Boulogne et l’abbé de Saint Pierre concèdent par une charte le droit de trainer la wade le long du littoral, (la wade un genre de chalut à poche).
Cette charte qui scelle donc naissance d’une congrégation de pêcheurs n’est pas désintéressée, elle va permettre en effet à l’Eglise de prélever la dîme, qui au passage peut s’élever jusqu’à dix pour cent de la pêche quotidienne et au seigneur et à la ville de prélever également toute sortes de taxes.
Vous voyez que ça a très peu changé !
Depuis toujours, l’année d’un pêcheur suit un ordre immuable, celui du cycle des espèces.
Le moment fort de l’année, a été et reste aujourd’hui la saison du hareng ! Le Hareng roi !
Poisson du peuple. Nourriture principale, parfois exclusive des 150 jours d’abstinence prescrits par l’Eglise. C’est le roi du Carême.
Poisson des armées également, les mouvements de troupes sont dépendants des mouvements des harengs.
Les chroniqueurs de la Guerre de Cent Ans relatent la bataille de la Journée des Harengs (1429) quand les troupes françaises affamées tentent sans succès de s‘emparer d’un convoi de harengs qui accompagnait les troupes anglaises.
Sur les mers, en revanche les belligérants s’engageaient à ne pas attaquer les bateaux de pêche durant l’harengaison. On parlait alors de trêve pêcheresse.
C’est un poisson abondant (en ces temps de disette chronique), bon marché, qui se conserve très bien. Séchés, fumés, mais le plus souvent salés, les harengs peuvent se garder près d’un an. Il présente surtout d’excellentes qualités nutritionnelles.
Les harengs ne connaissent pas la distanciation sociale, ils nagent tous ensemble, serrés, pressés, ils ne sont jamais assez près l’un de l’autre. Ils naviguent en bancs compacts. « Millions de millions, milliards de milliards qui osera hasarder de deviner le nombre de ces légions ?» demandait l’écrivain Jules Michelet.
Une réponse est avancée par les scientifiques, un banc de hareng peut compter jusqu’à 150 milliards d’individus.
De toutes les espèces animales, le hareng est une des plus nombreuses, mais c’est un poisson voyageur et il ne fait que passer. La saison de pêche va durer deux ou trois mois pas plus.
Et comme il obéit à des cycles migratoires, on le voit donc revenir chaque année au même endroit. Chez nous, il arrive au début de l’automne.
Le hareng se conserve en caques: des tonneaux remplis de sel.
D’un coup de couteau très précis on enlève au niveau des ouïes, les viscères ( les breules en Boulonnais) un seul organe, le pancréas. Cette technique a pour effet de déclencher un processus naturel de conservation tout en préservant les qualités nutritives.
On a utilisé cette méthode depuis le Moyen-âge et jusque dans les années 1960.
Les bateaux vont peu à peu être équipés pour pêcher, travailler et entreposer le poisson à bord. Limitant ainsi le nombre d’aller-retours au port.
Autrement dit, l’apparition, petit à petit, des premiers navires usines.
Mais le sel coûte cher et là où il n’y a pas de harengs en caques, règne le hareng saur (hareng fumé).
Sur de longues tiges de saule, les poissons sont enfilés par les ouïes. Il est important qu’aucun d’entre eux ne soit en contact avec un autre, la fumée doit recouvrir toute la surface sur hareng.
Si la moindre partie d’un seul poisson n’est pas enfumée c’est tout le lot qui peut être perdu.
Une fois la tige remplie ils sont disposés dans une grande cheminée, à Boulogne appelée « corèse ».
Il existe des corèses de toutes les tailles, certaines grandes comme des immeubles, d’autres pas plus hautes qu’une armoire. Le port avait un quartier complet dédié aux fumaisons (On parle généralement de saurisseries d’où le nom de « hareng saur »)
Mais dans les villages et les quartiers, on trouvait des corèses dans les rues (comme dans la rue du Machicoulis, quartier de la Beurière).
Le saurin, qu’on appelle de nos jours « le maître du feu » surveillait la bonne température. il ne faut pas chauffer les poisson au risque de le cuire. Il doit juste être fumé, pour cela on utilise de la sciure ou des copeaux, généralement d’ormeau ou de frêne.
Autrefois on fumait le poisson par nécessité, pour le conserver, aujourd’hui on le fume pour le plaisir du goût.
Le kipper, qui fait la gloire des fumaisons boulonnaises est une spécialité anglaise. Il est fendu en deux, ouvert par son milieu puis fumé, technique inventée en Angleterre au cours de la première moitié du XIXe siècle. C’est en réalité une technique empruntée au saumon fumé.
Les plages, en ce temps là, n’étaient pas utilisées pour la villégiature, la promenade ou la bronzette, mais uniquement comme zones de travail. La préparation des filets des pêche, la mise à l’eau des bateaux, leur retour puis leur entretien mobilisaient souvent tout un village.
Il y régnait une activité permanente.
C’est aussi sur les plages que le poisson était quotidiennement débarqué.
C’était en général aux femmes de l’acheminer vers les villes et les villages avoisinantes.
Dans le Boulonnais le transport du poisson était assuré par les « chasse-marées », ils chargeaient chaque jour la pêche fraîche pour l’emporter vers Paris, la capitale. Ils empruntaient une route jalonnée de relais où on changeait de chevaux, il fallait au minimum 15 heures pour les plus rapides pour rejoindre la capitale. Le poisson pour rester frais était recouvert de paille humide. Les chasse marées arrivaient enfin aux portes de Paris (précisément à celle portant le nom de porte Poissonnière).
Les chasse-marées disparaitront avec l’arrivée du chemin de fer.
Pêcheurs
Les hommes en mer et les femmes à terre, c’est toute la communauté qui était impliquée.
Chaque village est un monde clos
A bord on est souvent frère, cousin ou pour le moins parent, et si on s’entend bien on travaille souvent ensemble toute la vie.
On embauche selon les pêches un ou deux matelots supplémentaires, des petits jeunes car on les paye moitié moins. Les enfants sont considérés comme une source de revenus pour les familles. Avant 1882, on embarquait les mousses quand ils avaient fait leur première communion, c’est-à-dire entre 8 et 10 ans. A partir de 1882 l’instruction primaire devient obligatoire de 6 à 13 ans et donc on embarque à 13 ans.
Mais il était possible de demander une dérogation auprès du commissaire de la Marine pour embarquer à 10 ans quand un enfant déclarait savoir lire et écrire.
Les enfants étaient considérés comme un capital qui devait rapporter dès l’âge de 10 ans atteint et ce sont souvent les parents qui faisaient cette demande de dérogation.
Il n’est pas rare, donc, de voir des familles jusqu’à 15 personnes et vivant sous le même toit, les maisons (surtout celles en pierre de falaise) sont généralement humides et dès les beaux jours on vit dehors. N’hésitant pas à sortir le mobilier.
Chaque village est un monde clos, cultivant jalousement ses particularismes, ses costumes, ses coiffes et ses bijoux mais aussi son propre dialecte et ses propres règles et coutumes.
On se marie souvent dans le village même. Le tiers du village portait le même nom de famille. Les sobriquets et les surnoms étaient alors d’une réelle nécessité.
Les communautés étaient très empruntes de religion, chaque maison comme chaque bateau possédait sa bible. En fin de semaine, toute la flotte cessait la pêche pour honorer le repos dominical.
Peut on dire de ces pêcheurs qu’ils étaient pauvres ? En tout cas ils ne l’étaient pas plus que les paysans ou les ouvriers. Le métier était rude et non sans danger, régulièrement il y avait des accidents ou des disparitions. Mais dans ces communautés très solidaires, les orphelins, comme les veuves et les vieillards avaient toujours leur place